Enjeu esthétique et psycho -pouvoirs
« Le fait que la vie esthétique et symbolique soit désormais soumise aux intérêts de la consommation
industrielle doit être mis au coeur même des pratiques artistiques te politiques’・ .
« Dans le contexte machinique du tournant machinique de la sensibilité comme perte de participation,
de telles pratiques supposent la reconstitution d’une communauté organologique ouvrant la possibilité
d’un nouveau partage du sensible, qui doit être organisé, et comme organisation sociale. »2
Cette aesthesis constituée en une prothesthésie qui la constitue en permanence à travers ses articulations
nous oblige à la penser comme une évolution, un sensible noétique se faisant à travers les objets de la
culture et de mémoire qu’il extériorise et aux moyens desquels nous apprenons à nous sentir nous-mêmes,
à reconnaître aujourd’hui cette organologie des corps, des artéfacts et des sociétés comme
toutes trois, corps y compris, affectés l’un par l’autre. Cette sphère esthétique est constituée par les
relations transductives que les corps, les organisations sociales et les techniques entretiennent en
permanence au cours de l’histoire et à travers la prothéticité du monde, engrammée dans les évolutions
des objets techniques.
L’esthétique et le politique s’enracinent ensemble dans un fondement qui réarticule ses organes
au cours de l’histoire et au cours de l’évolution des techniques. Elle oblige alors à penser l’esthétique non
seulement comme le lieu de la redéfinition toujours renouvelée des rôles mais aussi le lieu qui
temporalise en ses articulations mêmes le devenir de la communauté humaine. Les questions esthétiques
sont indissociables d’une politique et de la nécessité de re-interroger la dimension esthétique des
modèles de pensée à rechercher pour espérer reconfigurer ce partage. Dans ce temps de production
industrialisée de symboles par l’intermédiaire de l’industrie culturelle et du projet d’anesthésie et de
contrôle qui le sous-tend, le temps semble venu de forger des outils et des attitudes à la hauteur des
enjeux qui pèsent sur « l’éducation esthétique de l’homme ».
Cette généalogie du sensible, comme étude des réinstanciations des fonctionnalisations de l’organologie
générale de l’esthétique, peut faire voir la noèse comme techne et son histoire comme une succession
d’extériorisations sur lesquelles se constitue une prothesthésie comme nouveau pouvoir de répétition.
Ce constat oblige à penser dès lors l’histoire de l’art et toute la généalogie du sensible noétique comme à
la fois « l’individuation humaine conçue comme une organisation de la sublimation, et une suite de défonctionnalisations,-refonctionnalisations entre les trois systèmes en relation transductive que forment les organes physiologiques, les organes artificiels et les organisations sociales »3.
Ainsi l’esthétique, en tant que sensible noétique, est une évolution des refonctionnalisations très anciennes extrayant l’humain de son socle animal, et un ethos épiphylogénétique à la fois originaire et sans origine. « Les programmes rythmiques de l’esthétique sont d’abord ceux du corps lui-même, et plus précisément des parties du corps que sont les cinq sens… Cette esthétique qui rend compte de l’évolution des formes comme de leur permanence, enracinées dans la tendance technique, est ce qui permet de penser la liberté individuelle, le niveau supérieur de la mémoire où s’élabore en tant que tel le symbolique comme phénomène de la pensée réfléchie »
1 STIEGLER Bernard, De la misère symbolique II– La catastrophè du sensible, p.145.
2 STIEGLER Bernard, De la misère symbolique II– La catastrophè du sensible, p.154.
3 Ibid, p.103.
Le concept d’esthétique aussi radicalement repensé par Bernard Stiegler conduit à concevoir une esthétique qui redéfinit l’insertion du sensible dans le politique et l’historique, à travers l’épiphylogenèse qui est la prothéticité historique du monde. « Le devenir esthétique implique esthétique physiologique, esthétique fonctionnelle soumise à la tendance technique, et esthétique figurative, porteuse du niveau proprement symbolique "